Scandale de dopage

Un rapport dévastateur

Le rapport d’enquête sur l’athlétisme russe a mis au jour le dopage « systématique » et « constant » de nombreux athlètes de ce pays. Au sein de l’équipe nationale, non seulement les tricheurs ne sont pas sanctionnés, mais les athlètes qui refusent de se soumettre au « programme » de dopage sont mis de côté, certains craignant même pour leur sécurité.

CONFIRMATION

« C’est pire que ce que nous imaginions », a déclaré Richard Pound en conférence de presse, hier, à Genève. L’enquête de la commission indépendante a confirmé « dans des proportions renversantes » les conclusions d’un documentaire diffusé au réseau allemand ARD en décembre 2014, à l’origine de toute l’affaire. On y apprenait entre autres que le dopage gangrenait l’athlétisme russe à tous les niveaux et que des athlètes étaient victimes de chantage pour que des tests de dopage positifs ne soient pas dévoilés. Ainsi, la marathonienne Liliya Shobukhova aurait payé 450 000 euros à des dirigeants liés à l’ancien trésorier de l’Association internationale des fédérations d’athlétisme (IAAF) et président de la fédération russe Valentin Balakhnichev pour pouvoir participer aux Jeux olympiques de Londres en 2012.

SYSTÈME

Le dopage de plusieurs athlètes russes est « systématique » et « constant », a constaté la commission, dont les enquêteurs ont utilisé des entrevues, des résultats de tests, de l’écoute électronique, des rapports et des preuves fournies par des dénonciateurs pour arriver à ces conclusions. Des « ratés systémiques » au sein de l’IAAF et en Russie « empêchent ou diminuent la possibilité d’un programme antidopage efficace » dans ce pays.

ATHLÈTES

La « culture de la triche » est « généralisée » et dure depuis « longtemps » dans l’athlétisme russe. Dans ce contexte, des athlètes russes sont prêts à transgresser les règles éthiques pour gagner à tout prix. Cela dit, ceux qui ne voulaient pas participer au « programme » étaient mis sur la voie d’évitement. Certains s’inquiétaient de leur propre sécurité s’ils ne se soumettaient pas aux règles de fonctionnement de l’équipe nationale. « Laisse ça aller, sinon tu pourrais te retrouver par hasard dans un accident d’auto », a déclaré un athlète aux enquêteurs.

ACTEURS

Les athlètes, dont plusieurs ont refusé de collaborer à l’enquête, parfois de manière agressive, sont loin d’être les seuls montrés du doigt. Les entraîneurs, les dirigeants sportifs, les médecins, les responsables de la lutte antidopage et du laboratoire de Moscou ainsi que le ministère des Sports sont sévèrement blâmés. « Ils ne pouvaient pas ne pas savoir », a dit M. Pound à propos des autorités politiques russes. Peut-on décrire cela comme du dopage encouragé par l’État ? « Dans le sens de le consentir et de le permettre [le dopage], oui », a-t-il répondu. « Il n’y a pas d’autres conclusions possibles. » Le membre du Comité international olympique y voit peut-être des relents du « vieux système de l’Union soviétique ».

POLICE SECRÈTE

Des agents du FSB, la police secrète russe qui a succédé au KGB, se présentaient régulièrement dans le laboratoire antidopage de Moscou et le laboratoire temporaire des Jeux olympiques de Sotchi, en 2014. Ceux-ci « imposaient activement une atmosphère d’intimidation sur les processus du laboratoire et de son personnel ». Grigory Rodchenkov, directeur du laboratoire, avait des entretiens réguliers avec un agent du FSB nommé Evgeniy Blotkin ou Blokhin, qui s’intéressait particulièrement aux « humeurs » de l’Agence mondiale antidopage. « Je ne crois pas que nous puissions être sûrs qu’il n’y a pas eu de manipulation [des résultats], mais on n’a pas de preuves formelles qu’il y en a eu », a précisé M. Pound au sujet du laboratoire de Sotchi. « On sait simplement qu’ils étaient là. C’est difficile d’imaginer quel serait l’intérêt de l’État russe dans l’urine d’un athlète… »

CRIMES

Les travaux de la commission ont déjà mené au déclenchement d’une enquête criminelle en France concernant les agissements de hauts dirigeants de l’IAAF. L’ex-président Lamine Diack a été arrêté et mis en examen jeudi pour son implication dans un vaste réseau de corruption, de chantage et d’extorsion d’athlètes mis en cause dans des affaires de dopage. Le médecin Gabriel Dollé, ancien responsable de la lutte antidopage à l’IAAF, et Valentin Balakhnichev, ex-président de la fédération russe et trésorier de l’IAAF, ont aussi été mis en examen. En raison de l’enquête en cours, la commission n’a pas rendu publique la section de son rapport concernant l’IAAF. Elle devrait la dévoiler avant la fin de l’année.

EN CHIFFRES

99 %

Proportion des membres de l’équipe russe d’athlétisme qui sont dopés, selon la lanceuse de disque Evgeniya Pecherina. Cette allégation n’a pu être prouvée par la commission.

323

Nombre de pages du rapport, qui sera bonifié d’ici à la fin de l’année.

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